L'architecte belge Luc Deleu a conçu, au début des années 1970, le projet utopique d'une université flottante

Par Jérôme Poggi

Luc Deleu, Mobile Floating University, 1972.
Courtesy Galerie Annie Gentils, Anvers.
L'anti-bâtisseur belge, militant d'un geste architectural non interventionniste, a réactualisé poétiquement l'idée du Grand Tour au début des années 1970, sur fond de revendications pacifistes.  

Si comme le recommandait déjà Montaigne dans ses Essais, les voyages forment bien la jeunesse, force est de reconnaître que le concept de campus est en soi antinomique avec l’idée d’un tel nomadisme formateur. Etymologiquement, il lie au contraire l’idée de formation avec celui de retraite et de sédentarité, usant de la métaphore agricole pour décrire le processus académique d’enracinement. À l’heure de la mobilité tout azimut, où même les musées comme le Centre Pompidou emboîtent le pas des Fonds régionaux d’art contemporain pour larguer les amarres et aller au devant du monde, c’est dans une forme contemporaine que réapparait l’idéal éducatif du « Grand Tour » qui, aux XVIIIe et XIXe siècles, concluait les années d’apprentissage de la jeunesse européenne par un voyage initiatique à travers l’Europe, jusqu’en Italie



S’il est de mise aujourd’hui que les étudiants parachèvent leur cursus universitaire par une année passée à l’étranger, ces expériences ressortent plus d’une translation géographique cours en tant que tel. Car le voyage, plus encore que sa destination, symbolise un cheminement intellectuel, un horizon à atteindre, un rite de passage. C’est cette idée qui sous-tend le projet utopique de Luc Deleu à qui le centre d’art et d’architecture Stroom de La Haye (Pays-Bas) vient de consacrer une exposition rétrospective, que l’on retrouvera à la rentrée prochaine à la galerie Annie Gentils à Anvers. Dans la lignée du nomadisme architectural et urbain d’Archigram, cet architecte et sculpteur belge, aussi connu pour ses projets fous consistant à bombarder le soleil de nos déchets radioactifs que par ses sculptures monumentales à base de containers, est un partisan du tout-mobile. 

En 1972, dans le contexte d’une guerre du Vietnam qui s’éternise, il répond à un appel d’offre pour la nouvelle université d’Anvers en proposant de transformer trois porte-avions en université flottante capable d’embarquer chacun 4 000 étudiants. « Je trouvais stupide d’exiler les étudiants hors de la ville sur un campus à l’américaine, estime- t-il. Hostile par ailleurs à la trop grande pression architecturale dans les villes, j’ai imaginé ce statement antimilitariste, envoyant nos étudiants battre les flots à la place de nos soldats ». Simple utopie d’un « anti-architecte » belge, ayant toujours préféré la spéculation architecturale et urbaine à la construction véritable ?

L’idée était pourtant bien dans l’air du temps à en juger par le projet, finalement avorté, d’un armateur de Hongkong qui racheta le RMS Queen Elizabeth en 1972 précisément pour le transformer en université flottante. Il faudra attendre 2007 pour que l’utopie vagabonde de Luc Deleu se réalise finalement à bord de l’Oceanic, un navire de croisière de 200 mètres de long transformé en université flottante, dans le cadre d’un ambitieux programme universitaire international réunissant sept universités du monde entier parmi lesquelles l’université de Californie à Berkeley, de Cardiff au Pays de Galles, mais aussi d’établissements du Ghana, de Chine, du Maroc, d’Australie et du Mexique. Deux cents étudiants de trente-cinq nationalités embarquèrent à Athènes sur leur Scholar Ship à destination de Hongkong, faisant escale au Portugal, à Panama, aux îles Galapagos, à Tahiti, en Australie et en Chine. Après un second « Grand tour » partant de Hongkong pour arriver à Rotterdam, dans la ville d’Erasme, le projet est aujourd’hui en quête de financement pour repartir en mer prochainement. Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage... 

Jérôme Poggi, 29 mars 2013
Chronique publiée dans le Quotidien de l'art du 29 mars 2013


 
PS :  Des recherches plus approfondies sur le sujet ont permis de découvrir que le principe d'université flottante s'est développé dès 1963 aux Etats-Unis de façon souvent convaincantes. De nombreuses croisières académiques ont été organisées depuis cette date. Depuis 2006, l'Université de Virginie, aux Etats-Unis apporte son soutien à l'Institute for Shipboard Education créé en 1976. Il organise tous les ans des formations environ 300 étudiants originaires de tous les "colleges" et universités américaines.


http://www.semesteratsea.org/discover-sas/our-organization/our-history/