Sainsbury Centre For Visual Arts : un monument

Par Jérôme Poggi
 
La Grande-Bretagne compte une centaine de musées universitaires qui jouent un rôle essentiel dans la vie culturelle du pays. À côté d’institutions aussi vénérables que l’Ashmolean Museum de l’université d’Oxford, plus vieux musée universitaire au monde créé dès 1683, de jeunes universités anglaises sont parvenues en quelques années à se doter elles aussi d’institutions culturelles de premier plan. 

Sainsbury Centre for Visual Arts, Museums Galleries à Norwich.
Photo : D. R.
C’est le cas de l’Université d’East Anglia créée à quelques kilomètres de Norwich en 1963 seulement, soit un peu plus de neuf siècles après la fondation de l’Université d’Oxford. Elle n’a pourtant pas attendu aussi longtemps pour se doter d’un musée, née de la générosité d’un couple de collectionneurs. En 1973, Sir Robert et Lady Sainsbury firent don de leur collection à l’Université, avec l’idée « d’offrir aux étudiants, enseignants et au public l’opportunité de fréquenter les oeuvres intimement, de la même façon qu’eux-mêmes le firent chez eux, sans lourdeur muséale excessive ». Parallèlement, leur fils fit don d’une somme permettant de construire un bâtiment et de financer son fonctionnement. Coup de maître, c’est au jeune Norman Foster que la commande fut passée. Le futur Prix Pritzker y signa son premier bâtiment public, inauguré en 1978, non loin des fameuses ziggourats de l’architecte Denys Lasdun qui hébergent les étudiants dans de remarquables bâtiments en terrasses tout de béton et de verre. 



Pourquoi une telle générosité à l’égard d’une université naissante, située dans la campagne du comté de Norfolk, et non à une grande collection muséale britannique ou au Musée du Château de Norwich ? « La collection des Sainsbury est universelle, comprenant aussi bien des sculptures égyptiennes, des reliquaires africains, des statues cycladiques que des œuvres majeures de Degas, Picasso, Francis Bacon, Alberto Giacometti ou Henry Moore. Les donateurs souhaitaient garder la cohérence de leur collection, et ne pas la voir disperser ou essaimer dans un ensemble plus vaste. L’université est le cadre idéal pour étudier la collection en tant que telle, et non comme une addition d’oeuvres distinctes », explique Amanda Geiner, directrice des collections et expositions. L’idée était la bonne, suscitant de nouvelles donations, dont la remarquable collection Anderson d’Art nouveau. Mais surtout, ces collections permanentes forment un corpus exceptionnel, dont l’accès est libre et offert à l’étude des étudiants de la School of Art History and World Art Studies de l’Université d’East Anglia. Avec une intelligence globale que connaissent trop peu les formations curatoriales françaises, c’est un ticket gagnant-gagnant qu’a décroché le Sainsbury Centre for Visual Arts, dont les collections sont étudiées et documentées en même temps qu’elles forment de futurs professionnels de l’art.

Parallèlement, l’institution est tournée vers l’art le plus contemporain avec une programmation ambitieuse qui regarde naturellement l’art dans sa globalité depuis la Chine, le Japon, l’Amérique latine jusqu’à… la France. Dans le cadre du programme européen de coopération transfrontalière Interreg, un partenariat avec le FRAC Basse-Normandie, le musée des beaux-arts de Calais et le centre d’art Fabrica de Brighton est développé depuis 2012 autour de deux thèmes communs liés aux transformations des paysages littoraux, ainsi qu’à l’héritage légué par les guerres de part et d’autre de la Manche. 
Placées sous l’intitulé de Monument, terme employé dans les deux langues avec un sens équivalent, les expositions présentées simultanément à Caen, Calais et dans le Norfolk abordent de façon croisée le principe de commémoration, brassant de façon exemplaire les points de vue britannique et français sur le sujet à travers des oeuvres de Jocelyn Cottencin, John Cornu, Carole Fékété, Léa Le Bricomte, Matthieu Martin ou Mick Peter. La convergence lexicale du titre incarne à elle seule le bénéfice de tels échanges. La liste des « vrais amis » francoanglais, ni anglicisme ni gallicisme, mais les deux à la fois, est longue et ouvre un champ vaste de possibles échanges de points de vue. Parmi les premiers de cette liste se trouve d’ailleurs le terme de « Campus »... 
À quand un partage d’expérience entre nos campus français et ceux exemplaires de nos voisins britanniques?

Jérôme Poggi
Chronique parue dans le Quotidien de l'Art le 11 avril 2014

MONUMENT
jusqu’au 13 avril, FRAC Basse-Normandie, Caen, www.frac-bn.org 
jusqu’au 27 juillet, Sainsbury Centre Visual Arts, University of East Anglia, Norfolk, www.scva.ac.uk 
jusqu’au 16 novembre, Musée des beaux-arts de Calais, www.calais.fr